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Chap.14 : Merai dans la nuit

par Hans Müller 1 Mars 2016, 15:21

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         Lorsque son esprit revint parmi les vivants, Merai aperçut distinctement le barman qui, jusque-là, n’avait été qu’une silhouette imbibée de flou, de tâches de couleur. Ce dernier, un torchon à la main, un verre dans l’autre, essuyait un des derniers verres qui était encore sale dans son établissement. Cet homme, encore extrêmement vif et précis dans ses gestes malgré l’heure tardive et l’effort demandé lors de ses précédentes heures de service, voyant qu’il captait à cet instant l’attention du commissaire, fit un signe de tête vers la droite, désignant l’horloge posée sur le mur. Merai se mit à fouiller ses poches et un paquet de cigarettes apparut sur le bord du bar. Il en mit une entre ses lèvres et, avant de l’allumer, fit comprendre à son interlocuteur qu’il resterait encore, le temps de la fumer, puis mettrait les bouts. Ce dernier, en un clignement d’yeux, un mouvement de la bouche, un hochement de tête, approuva cette décision. La Loi interdisait que l’on fume dans ce genre d’établissement mais ce dernier, se trouvant quasi-uniquement fréquenté par des habitués et, qui plus est, par des représentants de l’ordre public, on s’arrangeait facilement de ces choses-là. En pratique, les lois résultaient plus, ici, d’accords tacites entre les différents membres des différentes communautés que d’une volonté politique, créant des tâches sur du papier, édictant quelques paragraphes selon les humeurs, sondages et autres variations individualistes présents dans des salles quasiment vides où la volonté du peuple dût être théoriquement représentée.
Le briquet claqua sur le bar, une fois la cigarette allumée. Quelques bouffées plus tard, l’homme finit son whisky d’un trait et se mit à chercher, dans cette chaleur qui lui réchauffait le corps, une motivation suffisante pour sortir de là, conduire de façon réactive et regagner un lit vide, défait, dans un appartement désordonné et froid, la faute à des radiateurs électriques dysfonctionnels, que le propriétaire se refusait à changer, et à une absence de prime, cette année, que le saint Patron se refusait à revaloriser. Il fallait vivre chez soi en manteau. C’est aussi pour cela que Merai s’était décidé à adopter un chat errant qui l’avait suivi un soir de beuverie sur le chemin du retour. Après la journée riche en effondrements qu’il avait vécu, ces grands yeux émeraude et l’affection que lui témoignait cette fourrure noire au ronronnement mécanique, avaient eu raison du refus primitif de leur futur maître et gagné son attachement. Chacun cohabitait désormais avec l’autre, respectant certaines règles de vie morale primaire : n’envahir l’espace de l’autre que lorsque ce dernier y consentait, finir entièrement son assiette avant d’en redemander, faire ses besoins dans les espaces prévus à cet usage. La première de ces règles était parfois enfreinte lorsqu’un stylo créait des mouvements trop suspects pour l’attention du chat qui se focalisait sur cette potentielle cible et, remuant de l’arrière train, s’apprêtait à bondir. Cela se passait également lorsqu’une balle en mousse jaune et bleue roulait sur le sol et venait rencontrer le pied de celui qui l’avait acheté. On attendait alors une réaction de celui qui possédait l’objet de convoitise. Planté face au bar, le serveur fixait Merai dans une démarche analogue. Le mégot allait bientôt brûler et le fumeur n’avait pas vu le temps passer. Il dit merci lorsqu’on lui rendit sa monnaie. Il sortit avec la décision hésitante de rentrer chez lui. Son choix fut confirmé lorsque, fouillant ses poches, dans le but d’en extraire les clefs de son véhicule, il se rendit compte que ses poches ne contenaient pas les clefs de son appartement. Il fallait alors rentrer au refuge, où les clefs se trouveraient sûrement. En entrant dans son bureau, le commissaire commença par allumer le chauffage d’appoint se trouvant près de son bureau et s’avachit dans son fauteuil. Au bout de quelques minutes, le quartz devint rouge, la chaleur envahit la pièce et l’endroit se fit douillet. Le fumeur se mit à chercher un cendrier dans ses tiroirs et, le feu ayant consumé le tabac de sa cigarette, une fois son mégot écrasé, Merai se prit à fermer les yeux au sein de cette chaleur avec laquelle il se plût à faire corps.

 

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